Après des décennies d’exode rural, la propriété forestière en Corrèze échappe définitivement aux habitants, pour se trouver de plus en plus entre les mains d’héritiers citadins, souvent repartis en petites parcelles. Leur gestion est abandonnée, ou donnée à des entreprises qui ne fournissent que les industries du bois, avec des coupes rases sur grandes échelle.
De ce fait, la forêt s’homogénéise pour devenir une surface à produire du bois. Toujours plus de bois… L’Etat, avec l’aide des lobbies industriels (ou inversement), façonne à sa façon le territoire pour répondre à la demande frénétique de matière première. A l’image de l’agriculture intensive, la forêt se transforme en une surface productiviste, un champ d’arbres avec toutes les conséquences sociales et environnementales qui en découlent.
La forêt française
La surface forestière grandit, elle gagne du terrain. Voilà le message positif que l’on nous rabâche aujourd’hui. Certes, les chiffres parlent, elle représente 31 % du territoire aujourd’hui, avec une augmentation de 0,7 % par an depuis 30 ans. Mais que se cache-t-il derrière cette réalité ? Représente-t-elle la forêt de notre imaginaire ? Ce subtil mélange de faune et de flore qui composent l’écosystème forestier dans sa richesse et sa diversité ?
51 % de ce massif forestier français est répertorié comme monospécifique – couvert à plus de 75 % par une seule essence. Où sont parties se cacher les autres essences ? Ont-elles disparu d’elles-mêmes ?
Et sur notre territoire ?
Notre région est fortement boisée. Nous n’habitons pas un territoire forestier traditionnel. Les forêts sont jeunes, issues pour la plupart de la déprise agricole, elles ont reconquis un territoire laissé à l’abandon. Nous pourrions nous en réjouir et nous en satisfaire. Mais ce potentiel boisé attire les convoitises. Les grandes coopératives forestières s’installent, et ce n’est pas pour la beauté du paysage. A Argentat, Alliance Bois Forêt et la CFBL (Coopérative Forestière Bourgogne Limousin) ont installé leurs bureaux ces deux dernières années. Ouvrir une antenne locale se justifie par un fort potentiel économique, ne soyons pas dupes. Qu’il serait dommage de laisser la forêt vivre, se régénérer alors que l’on peut la transformer en outil de production au service de l’industrie, aux dépens du vivant et des activités traditionnelles sur le territoire.
Le modèle qui s’impose
L’arbre n’est plus considéré comme un être vivant mais comme une matière. La forêt n’est plus un écosystème mais un alignement de ressources. Il faut façonner et homogénéiser les surfaces forestières selon les besoins de l’industrie. Un modèle de gestion s’impose, la coupe cyclique à blanc – appelée aussi coupe rase – : on plante, on éclaircit, on coupe tout… et on recommence. Comme un champ de blé que l’on replante tous les ans. Le cycle est la durée entre la plantation et la récolte. D’une durée de 40 à 50 ans aujourd’hui, le cycle de vie de la forêt (de la plantation à la récolte) est censé se réduire à 20-30 ans à l’aide des produits phytosanitaires et des miracles de la génétique. Il faut accélérer la croissance pour produire toujours plus rapidement. Nous reproduisons dans la forêt les catastrophes que nous constatons aujourd’hui dans l’agriculture intensive.
Cette uniformisation permet une adaptation des techniques et des machines à un produit. Ils doivent tous êtres les mêmes pour rentrer dans le moule de la chaîne industrielle. L’arbre devient une tige de bois rectiligne à croissance rapide. On conforme l’arbre (et donc la forêt) à la machine. De l’abattage aux produits finis, tout s’automatise et l’humain ne devient que contrôleur de machine. La main et le regard des hommes et des femmes travailleurs-euses de la forêt disparaissent. La technique ne nécessite plus qu’une manipulation de joystick et de bouton pour que la machine exécute.
Les méga-projets industriels de bois-énergie, pour soi-disant diminuer notre dépendance au pétrole, ne font qu’aggraver cette situation.
Les conséquences de la coupe rase
Ce mode de gestion forestière est un désastre. Il est l’opposé même de la forêt par son processus et sa technique.
Premièrement, une forêt est un ensemble, un couvert végétal. Elle ne se limite pas à ses arbres. En retirant tous les arbres en même temps, la vie de l’écosystème est réduit à néant. Sous prétexte de vouloir prélever cette matière, on s’autorise à détruire tout ce qui est autour. La transformation radicale et subite du sol ne laisse plus de place aux autres fonctions essentielles de la forêt : vie des animaux et autres organismes vivants, filtrage, épuration et réserve d’eau, oxygénation de l’air et puits de carbone,… Autant d’éléments nécessaires à la vie humaine que l’on anéantit pour quelques mètres cubes de bois.
Les techniques employées pour pratiquer ces coupes n’aident pas la situation. Les machines, abatteuses, débardeuses, débusqueurs de plusieurs tonnes, travaillent quelle que soit la météo et à rythme effréné, sans précaution pour les chemins d’accès et arbres de bordure, pour rembourser le crédit d’achat. Elles retournent et détruisent entièrement les sols qui mettront plusieurs dizaines – voir centaines – d’années à se regénérer.
Et l’on veut continuer comme cela et revenir dans 20 ans récolter à nouveau ?